
Durant Pâques, j’ai pu me replonger dans quelques lectures que j’ai mises de côté depuis un bout. Un de ces livres est « Pour l’amour de ma mère » de Boucar Diouf. C’est un livre que ma collègue m’a laissé emprunter de sa bibliothèque lorsque je lui ai partagé de mon intérêt pour la lecture. Ma connaissance de Boucar Diouf est générale. Je le vois comme une figure importante et unique de l’univers culturel québécois. Son background en biologie, sa sagesse, sa connaissance infuse et son héritage culturelle sénégalais se traduisant, entre autres, par ses « mon grand-père disait... » constituent l’originalité de sa présence. Ce livre explore non seulement l’enfance de Boucar, mais également sa relation avec sa mère et du même coup sa mère elle-même. Loin d’être un critique littéraire, je peux seulement parler avec confiance des premières 140 pages. Des pages que j’ai lues jusqu’à présent, il s’agit d’une lecture agréable et légère malgré les lourds thèmes sociétaux, philosophiques et existentiels abordés. On y retrouve la sagesse et l’humour de Boucar qui lui sont caractéristiques. Autre que la demi-recommandation, le passage sur l’intimidation que Boucar a subie à cause de sa « mauvaise jambe » m’a poussé à écrire ce présent texte sur le capacitisme.
Plusieurs de ses camarades de classe se moquent de lui du fait de sa limitation physique. Il se trouve la cible d’insultes et d’imitations dénigrantes à son égard. Le nom qu’on lui donne est « Lafagne » un terme de la langue wolof qui désigne une personne incapable dans la rue à qui peut uniquement survivre à l’aide d’offrandes. Ce terme peu flatteur ajoute aux autres actions de son entourage qui renforcent la faible estime de lui que le jeune Boucar développe. En effet, le père de Boucar indique à son fils qu’il peut faire une croix sur plusieurs activités étant donné sa mobilité réduite. Il met ainsi l’accent sur ses « lacunes ». Les professeur·es, qui empêchaient Boucar d’assister au cours d’éducation physique à cause de sa jambe, contribuent également à réduire son estime de lui. La stigmatisation créée par l’environnement finit par construire un environnement non-inclusif. Ces décisions de la part de ces adultes peuvent avoir été faites sur la base de bonnes intentions afin d’éviter qu’il vive des déceptions. Toutefois, les commentaires et les actions posées auprès d’enfants surtout si on est un adulte que l’enfant estime peuvent modeler la perception que l’enfant a de lui·elle·iel-même. Dans ce cas-ci, le regard que la société entière a de sa condition.
Cette situation est un exemple clair du concept de capacitisme (voir page Lexique). Cette forme de discrimination est basée sur la vision inférieure que nous attribuons aux personnes qui sortent de la norme sociale en termes de capacité physique, mentale, sociale, sensorielle, etc. Si on revient au Québec, un contexte culturel dont je suis plus à l’aise de commenter, j’ai souvent l’impression que l’on demande aux personnes de se conformer aux standards de la société et de prouver leur valeur. Ces standards semblent reposés sur des notions de productivité et de performance. Si une personne ne peut pas contribuer à la société, elle semble être mise automatiquement de côté. La valeur intrinsèque d’une personne est alors liée, bien souvent qu’autrement, à ce que cette personne rapporte économiquement à la collectivité. D’un côté, j’ai l’impression que cela peut amener une certaine déshumanisation de ces personnes, car on limite notre appréciation à des domaines spécifiques. De l’autre, les personnes visées peuvent avoir moins le goût de participer socialement en retour à cause de la vision négative projetée. Cela étant dit, selon moi, c’est à la société de s’adapter aux besoins des personnes avec une limitation. Le problème ne provient pas de la différence de la personne, mais comment on réagit face à cette différence. L’ampleur de l’enjeu grossit par ce changement de perspective. On se retrouve impliqué d'une manière ou d'une autre et on peut du même coup tous·tes faire partie de la solution. Le fardeau n'est plus uniquement sur l'individu, mais le poids est partagé par tous·tes et est moins lourd à porter collectivement. « [...] [Ceux·celles·celleux] qui ont aidé un tel porteur à alléger le fardeau deviennent des [allié·es], des [ami·es], des proches » tel que l’indique Boucar.
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Capacitisme