
Éviction (abusive des aîné·es) rime avec intimidation
Pour les personnes en situation de précarité, la recherche d’un logement et la vie en appartement sont teintées par une relation locataire-propriétaire inéquitable. Renaud Goyer, chercheur en expulsion résidentielle, résume bien la position précaire du locataire en indiquant que « parfois la nécessité d’un logement est plus grande que la défense des droits [...] » (voir l’article du CREMIS « Propriétaires abusifs et défense des droits : mensonges et menaces dans les rapports locatifs »). Cette position ouvre la porte à des situations d’intimidation. Les stratégies utilisées pour évincer des locataires ne font que souligner le caractère potentiellement abusif de cette relation (voir l’article du Carrefour de Québec « Intimidation, harcèlement : ils dénoncent les abus de certains propriétaires »). Cela mène à une tolérance de situations inacceptables faute de ne pas être en mesure de déménager.
Avant d’aller plus loin, il est important de définir l’intimidation. Il s’agit de la répétition intentionnelle de gestes violents causant un déséquilibre de pouvoir et une prise de contrôle (voir la page « L’intimidation » du site web). En bref, l’intimidation est composée de trois éléments, soit la répétition, la violence et un déséquilibre de pouvoir. J’aborde la répétition et la violence ensemble, car ces deux concepts font échos à une notion nommée la guerre d’usure. Selon Jean-Christophe Bureau, responsable des services juridiques à Infologis, la guerre d'usure consiste à rendre l’existence du·de la locataire invivable et insoutenable, au point où quitter le logement devient la meilleure option. Ainsi, le propriétaire répète des stratégies violentes pour faire perdurer la souffrance vécue jusqu’à ce que le·la résident·e accepte de quitter les lieux. Des propriétaires haussent le ton de voix, insultent ou menacent des locataires qui refusent leur demande (voir l’article du BAIL « Menaces, mépris et mensonges : quand les propriétaires empêchent les locataires de se défendre »). D’autres peuvent couper le chauffage ou l’électricité pendant une période indéterminée (voir l’article du Journal de Montréal « Une vingtaine de faux documents déposés au tribunal pour forcer des hausses de loyer »). Ces violences affectent la santé physique et psychologique des locataires. Quant à la notion de pouvoir, elle est au sein même de la relation. Les locateur·rices ont un certain contrôle sur leurs occupant·es. Cela est d’autant plus vrai dans un contexte économique où il y a très peu de logements à prix abordable sur le marché. Les locataires subissent alors les violences de leurs propriétaires sans pouvoir changer leur situation. Cela est vrai à travers tout le Québec.
L'éviction, un chemin vers l'itinérance
Dans la province, le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) a noté une montée importante des évictions forcées lors de l’année 2023 (voir rapport de 2023 du RCLALQ). Cela montre une augmentation des stratagèmes abusifs de certain·es propriétaires et une absence de mesures pour soutenir les locataires. En début d’année 2025, le Tribunal administratif du logement (TAL) a suggéré une hausse des loyers de 5,9% pour l’année (voir l’article du réseau FADOQ « Hausse de loyer 2025: ce que vous devez savoir »). Cette augmentation risque de se traduire par une augmentation des évictions pour les personnes qui n’arrivent pas à rejoindre les deux bouts. Ce constat est lourd de conséquences lorsqu’on réalise que les évictions sont présentement le facteur principal qui mène à l’itinérance (voir rapport de 2023 du RCLALQ). Le message est clair : les problèmes d’accès au logement perdureront et impacteront de plus en plus de gens. Cependant, tout le monde n'est pas et ne sera pas impacté de la même manière. Une des populations les plus touchées est les locataires aîné·es à faible revenu.
Les locataires aîné·es sont plus susceptibles d’être à risque d’éviction, particulièrement les personnes qui occupent le même logement depuis une longue période. Comme l’indique M. Bureau, cela s’explique par le fait qu’ils·elles·iels payent parfois un loyer moindre pour leur logement. Il s’agit aussi d’une population dans une situation économique plus précaire (voir la lettre ouverte de la présidente de la FADOQ). Cela est d’autant plus vrai si la personne aînée vit seule. Une augmentation importante du loyer n’est pas envisageable, entraînant des risques d’itinérance et des risques sur la santé. Recevoir une lettre d’éviction plonge la personne dans un avenir incertain. Recevoir des visites ou des appels à toute heure de la journée est harcelant (voir l’article du Journal de Montréal « «Ils voulaient me forcer à partir»: des locataires sommés de partir avant une revente lucrative »). Il s’agit de situations très anxiogènes. Les locataires peuvent alors vivre du stress, de l’anxiété et de la détresse (voir l’article du Devoir « Crise du logement et santé mentale, nous crions au secours! »). Le risque de devoir décider entre payer un loyer trop cher ou son épicerie et ses médicaments est bien réel (voir l’article du Devoir « Dans la grande région de Montréal, un ménage sur cinq ne peut pas subvenir à ses besoins de base »). La personne peut développer une dépression au point de mettre un terme à sa vie à la suite d’une accumulation d’événements stressants (voir l’article de La Presse « Mourir plutôt que partir »). Ce risque est d’autant plus élevé chez les locataires plus âgé·es (Rojas & Stenberg, 2016).
Solutions
Pour les intervenant·es et professionnel·les, l’impact de la crise du logement se vit différemment. Elle se vit au travers des frustrations des populations qu’ils·elles·iels aident. Colère, stress, injustice et impuissance, entre autres, peuvent colorer le vécu des personnes les plus vulnérables. Il peut alors être pertinent de reconnaître les signes annonciateurs d’une éviction étant donné le lien entre le logement et le bien-être. Selon le rapport d’analyse de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), « [les] caractéristiques du logement, dont l’abordabilité, la qualité, l’accès et la localisation, peuvent avoir une influence sur les conditions de vie, la santé et le bien-être par une myriade de mécanismes et de trajectoires ». La majorité des tentatives d’éviction commence par une lettre, indique M. Bureau. Avant la lettre, un changement de propriétaire peut laisser présager dans certains cas une demande d’éviction. De même, un contrôle de plus en plus contraignant de la part du·de la propriétaire est un autre indice possible. Les demandes peuvent sembler anodines au début, mais finissent par devenir de plus en plus limitantes. L’objectif de ces demandes croissantes est de rendre le·la locataire inconfortable et l’encourager à partir.
Face à une situation d’éviction, il existe plusieurs organismes prêts à défendre les droits des locataires. Le RCLALQ regroupe les différents comités logement au travers de la province. Sur leur site, vous pouvez localiser le comité logement le plus près de chez vous. Souvent, les comités logement offrent des services d’information juridique individuels. Par téléphone ou courriel, ce type d’organisme prend le temps d’écouter la problématique et d’informer les personnes desservies de leurs droits comme locataire afin d’éclairer leurs prochaines décisions. Dans la sphère politique, la loi communément nommée « loi Françoise David » interdit l’éviction d’une personne à très faible revenu, âgée de plus de 70 ans et qui habite son logement depuis plus de 10 ans. Cette loi a été renforcée en élargissant les critères afin d’inclure les aîné·es de 65 ans et plus (voir la publication du réseau FADOQ). Son adoption a été vue comme une victoire pour plusieurs acteur·rices du milieu de la défense en droit du logement et des droits des personnes aînées.
Au-delà des avancées politiques, les organismes communautaires encouragent la construction de logements sociaux comme solution à la crise du logement actuelle. Cette alternative aux logements à revenu (voir la page Qu’est-ce-que le logement social d’Infologis) est considérée comme telle, car les logis sortent de la logique marchande où la recherche de profit prime. Cette forme d’habitation permet de prioriser le droit au logement en offrant une certaine protection aux personnes les plus oubliées de notre société.
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