Coups cuisants du ring aux réseaux
À la suite de plusieurs remarques diffamatoires à son égard, la championne algérienne de boxe, Imane Khelif, a déposé une plainte auprès des tribunaux parisiens. Depuis sa rapide victoire contre la boxeuse italienne aux Jeux olympiques d’été 2024, celle qui a ultimement remporté l’or dans la division des poids mi-moyens s’est retrouvée, à répétition, dans la mire de divers propos sexistes, racistes et transphobes (violences). Parmi les personnes ayant contribué à ces discours, il y a, entre autres, Elon Musk, propriétaire de la plateforme X (anciennement Twitter), J.K. Rowling, autrice à succès de la série de livres Harry Potter, et Donald Trump. Ces individus, avec leur immense auditoire et leur influence, ont propagé de fausses informations par rapport à la championne (pouvoir) tout en continuant d’encourager une vision sexiste.
Au sein de cette polémique, qui est de la cyberintimidation sur une échelle mondiale, plusieurs concepts s’entremêlent rendant la situation très complexe. Toutefois, la base sur laquelle toute cette controverse se repose est la vision sociétale que nous conservons de la femme. En effet, dans un domaine perçu masculin tel que la boxe, cela amène des frictions à l’image idéalisée de la femme. D’un côté, nous prisons les performances exceptionnelles, qui demandent souvent des caractéristiques physiques hors du commun et énormément d’entraînement pour les atteindre, mais, de l’autre, il est traditionnellement demandé qu’une femme se fasse petite, délicate et priorise son apparence.
Cette tension existe depuis longtemps et perdure encore aujourd’hui. À l’ère victorienne, les femmes ont été fortement découragées de participer à des activités physiques intenses. Selon la pensée courante de l’époque, les principales raisons de cette exclusion étaient que leurs organes reproducteurs seraient affectés par l’effort demandé et que la source d’énergie limitée des femmes ne leur permet pas de s’investir dans des occupations trop exigeantes comme le sport ou l’éducation (qui les éloignent de leur rôle premier soit s’occuper de la maisonnée). Durant les années 40, lorsque la première ligue professionnelle de sport féminin marque sa présence aux États-Unis, les joueuses de la All-American Girls Professional Baseball League étaient contraintes par un code vestimentaire et de conduite (ex. : toujours porter du rouge à lèvre, pas de cheveux courts, interdiction de porter un pantalon, etc.). Aujourd’hui, des athlètes, comme Serena Williams ou encore Simone Biles, deux grandes championnes afro-américaines ayant remporté plusieurs prix dans leur sport respectif, ont souvent été décrites comme étant trop masculines autant par leurs adversaires que par des analystes sportif·ves. Ces commentaires s’inscrivent dans les caractérisations racistes à l’égard des femmes racisées souvent perçues comme plus agressives, plus fortes et résistantes à la douleur. En plus, ils ont pour effet d’éclipser la célébration de la performance, des victoires, du talent et de l’incroyable acharnement de ces boxeuses, gymnastes, coureuses, joueuses, etc. Ainsi à travers les décennies et les siècles, tout comportement qui éloigne une femme de son image conventionnelle est vu d’un mauvais œil et critiqué. La féminité, dans le sens traditionnel du terme, peut être vu comme une performance et un idéal et le cas d’Imane Khelif s’ajoute à la longue liste d’exemples qui confirment cette norme.
« Une différence perçue chez l’autre, peu importe sa nature, est souvent à la source de gestes d’intimidation » (INSPQ, 2019). Cette citation résonne et résume bien la controverse concernant Imane Khelif tout en montrant que cette histoire diffère très peu d’une situation d’intimidation que l’on pourrait lire sur la page suivante du même journal. Les normes sociales cadrent les comportements et dictent la conduite appropriée d’une société pour que les individus s’agencent avec cette dernière. Ainsi, les normes peuvent limiter les caractéristiques individuelles de tou·tes au prix de l’acceptation sociale et d’une certaine sécurité. Elles facilitent la reconnaissance des personnes qui appartiennent à notre groupe ou notre communauté. Cependant, le revers de cette médaille est la violence et l’exclusion qui peuvent être perpétrées envers les personnes qui ne concordent pas au moule. La boxeuse algérienne est une femme avec une carrure imposante, mais cela ne l’empêche pas d’être femme à même titre qu’un garçon qui vit ses émotions n’est pas moins garçon. On s’écarte tou·tes d’une manière ou d’une autre des standards et, même si on peut y concorder parfaitement, il y a une certaine pression à devoir constamment les atteindre et les maintenir.
Au-delà de toutes ces discussions autour d’un sujet et de thématiques qui suscitent de vives réactions, ce dont on devrait toujours se rappeler c’est qu’un comportement d’intimidation ne devrait jamais être toléré peu importe l’opinion. Que ce soit en réel ou en virtuel, le respect de l’autre reste le respect et nos actions ont un impact. Avec le développement fulgurant des technologies de communication, cet impact s’est incroyablement élargi autant en terme du nombre de personnes que l’on peut atteindre que de la rapidité des échanges. Toutefois, il revient à nous de décider si l’on souhaite que notre impact soit positif ou négatif. C’est par la nature de nos interactions en ligne que nous modelons notre expérience et celle des autres sur les médias sociaux, donc autant en créer une de positive!
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